Vous croyez que c´est
possible de traverser Paris en un peu plus de 8 minutes ?
En 1976,
Claude Lelouch nous montre comment le faire à travers du
court-métrage « C’était un rendez vous ».
L'itinéraire et
les temps

Lelouch traverse Paris avec sa voiture (une Mercedes 450 SEL de
6,9 L et 286 chevaux) à grande vitesse un petit matin d´août,
mais la voiture n'est jamais montrée parce que la caméra est
attachée au pare-choc avant. L'image est accompagnée d'une
bande-son composée de bruitages : crissement de pneus, bruit du
moteur et changements de vitesse.

Mais pourquoi il roule
aussi vite ? Vous devez attendre jusqu´à la fin
du court-métrage pour le
savoir.
En
2006 Claude Lelouch a refait le parcours pour mettre fin à
toutes les questions qui se posaient les internautes sur le film
(quelle voiture, quel pilote ?...) à travers un making off.
Véritable danger-publique ou prouesse ?? Qu´est-ce que vous en
pensez ?
Vous
êtes capables de faire n´importe quoi pour arriver à l´heure ?
Ou vous arrivez normalement en retard ?
(texte tiré du site Officiel de Claude Lelouch)
Dans quelles circonstances avez-vous entrepris “C’était un
rendez-vous” ?
Je venais d’achever le tournage de “Si c’était à refaire”. Quand
un film se termine, on effectue les “rendus”. J’ai donc demandé
à mon régisseur quel métrage de pellicule il nous restait. Après
inventaire, nous avions pas mal de chutes, entre 3000 et 4000
mètres au total. Beaucoup de petits rouleaux de 30 ou 50 mètres,
mais aussi un magasin de 300 mètres, qu’il était prévu de
rendre. Moi, j’avais envie de faire un court métrage que nous
aurions placé en première partie du film. Depuis longtemps je
voulais raconter l’histoire d’un type en retard à un rendez vous
qui commet plein d’infractions pour arriver à l’heure. Pour moi,
être à l’heure est une obsession. Je suis capable de prendre des
risques inouïs pour ne pas être en retard. J’ai suggéré à mon
opérateur Jacques Lefrançois, l’idée d’un plan-séquence, la
caméra accompagnant un type qui a rendez-vous à Montmartre avec
une fille. Comme il est à la bourre, il traverse Paris à toute
allure, en grillant les stops et les feux rouges.
Dans le film, le conducteur prend-il le chemin le plus direct ?
Si un Parisien veut aller de l’avenue Foch à Montmartre, il
n’est pas obligé de passer par les guichets du Louvre…
Il va prendre l’avenue de Wagram, bien sûr. Mais, Mous vous en
doutez, je voulais en même temps proposer une sorte de
reportage. Mon problème était d’élaborer un plan qui n’excède
pas dix minutes et qui trouve son intérêt à la toute fin avec la
fille qui arrive sur les marches.
J’ai réfléchi au projet. J’ai demandé à Elie Chouraqui, mon
assistant à l’époque, de voir quelles autorisations il nous
faudrait obtenir. Nous nous sommes vite rendu compte qu’un plan
comme celui-ci nécessitait de bloquer tout Paris. Ce n’était
même pas la peine de demander nous n’étions pas prêts à mettre
en œuvre les moyens d’un long métrage pour réaliser un court.
J’ai interrogé un cascadeur : « Si je filme très tôt, qu’est-ce
que je risque en grillant les feux rouges ? » Il m’a expliqué
que c’était de deux choses l’une. En arrivant à un feu rouge,
s’il n’y a personne dans le champ de vision, le risque n’est pas
bien grand de passer en force : il faudrait qu’au même moment,
un même cinglé déboule à la même vitesse. Et s’il y a quelqu’un
dans le champ de vision, il est toujours possible de freiner. Je
suis donc parti du postulat que si je roule vite et que je ne
vois rien, c’est qu’il n’y a rien … Le seul inconvénient majeur
c’étaient les guichets du Louvre. Ils me faisaient peur à cause
de leur absence de visibilité. Pour le tournage, j’ai demandé à
Chouraqui de s’y installer avec un talkie-walkie et de me
prévenir au moment où j’arrivais. S’il ne me disait rien, c’est
que tout allait bien. C’est la seule véritable précaution que
j’ai prise. Pour la beauté du film, il fallait vraiment que je
ne m’arrête pas. Que je stoppe à un feu rouge, et le film
disparaissait. Il y avait d’ailleurs neuf chances sur dix pour
que nous n’arrivions pas au bout.
La caméra est fixée à la calandre de la Mercedes. Comment la
voiture était-elle équipée ?
Nous avons accroché la caméra sur le pare-chocs de la voiture,
une 6,9 litres Mercedes. A l’intérieur nous étions trois,
attachés comme des mulets : moi-même au volant, mon chef
machino, et mon chef opérateur pour éventuellement changer le
diaphragme. Au dernier moment, il a fallu régler une diapo
moyenne. L’image devait être au ras du sol pour être encore plus
spectaculaire. Nous sommes en plein mois d’août. Bien sûr, nous
avions décidé de sacrifier le film et de tout arrêter au premier
danger. Nous roulions vraiment vite.
Quand vous dites “Nous roulions vite” vous parlez de quelle
vitesse ?
La montée de
l’avenue Foch, entre 150 et 180 km/h. Les Champs-Élysées à 130 à
150 avec une pointe à 160 km/h au niveau de Franklin Roosevelt.
Puis jusqu’à la Concorde, comme c’était bien dégagé, j’ai dû
monter à 200 km/h. J’ai pris la place de la Concorde à 150. Sur
les quais, j’ai franchi les 200 km/h. J’ai pris les guichets
presque normalement, c’est-à-dire à 80 ou 90 km/h. Comme
Chouraqui ne m’appelait pas, je suis passé sous les guichets à
fond, 100 km/h, car le passage est tout de même assez étroit. Je
ne savais pas que le talkie de Chouraqui était en panne ! Je ne
l’ai su que le tournage terminé. Puis j’ai remonté l’avenue de
l’Opéra. Le carrefour était bloqué par un bus. Pour éviter de
ralentir, j’ai dû passer de l’autre côté de la chaussée, des
voitures venant en sens inverse. Place de I’Opéra, pas de
problème ! J’ai ensuite pris la rue de la Chaussée-d’Antin vers
Clichy. Je suis tombé sur des camions-poubelles que je n’ai pu
dépasser qu’en montant sur le trottoir. Je croyais ne plus avoir
de problèmes. Mais en arrivant rue Lepic, j’ai été bloqué par un
type qui livrait. J’ai pris de l’autre côté, vers le paumant
Palace, en destruction à l’époque. J’ai remonté l’avenue
Rocquencourt, ce qui me rallongeait énormément. Je ne savais pas
s’il allait me rester suffisamment de pellicule. J’ai donc pris
des rues en sens unique pour arriver à Montmartre dans les temps
…
Vous aviez effectué des repérages ?
J’avais fait le parcours une fois, lentement, pour bien
déterminer les passages. Je disposais de l’équivalent de 9-10
minutes de pellicule ! Il me restait 15 secondes pour couper le
moteur descendre de voiture et prendre la fille dans mes bras.
Nous avions convenu que lorsque je klaxonnerais elle monterait
deux marches, pénétrant ainsi dans le champ. Le plan-séquence ne
pouvait être réussi que sur ces dernières secondes. Je m’étais
dit que si je ne réussissais pas la première prise, je ne
recommencerais pas. Par superstition. Si le miracle devait avoir
lieu, il aurait lieu … Et il a eu lieu. En forçant quand même le
destin, puisque nous avons grillé dix-huit feux rouges.
Comment expliquez-vous la notoriété de ce court métrage, qui est
devenu un film culte, ce qui est plus que rare peur un film
court…
J’ai montré le film un peu partout. Il n’a pas toujours été très
bien accueilli compte tenu de son manque de sens civique
flagrant, ce que je ne saurais contester. Mais il a aussi ses
fana. Quand j’ai montré le film pour la première fois à Los
Angeles, où le non-respect des règles de conduite est toujours
fortement sanctionné, le triomphe s’est mêlé à d’incroyables
sifflets. “C’était un rendez-vous” a toujours suscité la
polémique, mais il montre aussi tout ce qu’on aime dans le
cinéma. Comme j’aime le cinéma plus que la loi … Je savais que
je tenais un morceau de bravoure. Je me disais, en toute
modestie, qu’il y avait là la possibilité de faire l’un des plus
beaux plans de l’histoire du cinéma. Les plans-séquences de dix
minutes sont rares, en raison de l’étroitesse du magasin de la
caméra. Même Hitchcock dans “La Corde” a anticipé ses
changements de pellicule.
Vous avez repris ce principe de courses sous différentes formes.
Dans “Un homme et une femme : vingt ans déjà” , mais
c’était sur un circuit, tout comme dans “Partir Revenir“.
Pour “Le Chat et la Souris“, réalisé quelque temps plus
tôt, nous avions expérimenté la chose. Mais le tournage était
bétonné avec des flics devant et derrière. Pour “C’était un
rendez-vous“, nous avons fait un truc de voyou.
Qu’est-ce que vous risquiez ?
D’abord, un accident ! Ensuite, les conséquences d’un tournage
sans autorisation. Enfin un retrait de permis de conduire. Le
film est beau par sa prise de risque. S’il a eu autant de succès
et qu’il prête tant à discussion, c’est qu’il est risqué.
Vous aimez les courts métrages ?
D’une certaine façon, il est plus difficile de faire un court
qu’un long. Economiquement c’est un cauchemar. Artistiquement,
il faut être dans l’essentiel. Quand on regarde un court
métrage, on sait tout de suite si son signataire a de l’avenir
dans le cinéma. Quand j’ai vu le court métrage de Xavier
Giannoli par exemple, j’ai su qu’il s’agissait d’un vrai metteur
en scène

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